« 30 Years ! Show part 1 ! New Model Army (NMA) n'est pas un groupe nostalgique. La qualité de leurs derniers albums le prouve. Plutôt un morceau de l'histoire du rock anglais, fait de sueur, de concerts et de sons éclatants de guitares, quelques fioritures et beaucoup de passion, mais — surtout — fait de grandes chansons rebelles.
En trois décennies, bien que largement ignorés par la presse musicale, Justin Sullivan et ses associés, d’hymnes politiques en concerts d’insurrection, dans une rébellion à mains nues, comme The Levellers en plus cohérents, comme Violent Femmes mineures, mais enrichis d’électricité, comme The Smiths pour leur lyrisme, comme The Clash avec moins de talent, mais avec une carrière plus longue, ont écumé les salles du monde entier. Pour fêter leurs 30 ans de carrière, riches de 13 albums, de milliers de concerts et de centaines de chansons, ils ont mis au point un projet exaltant, certes un peu fatigant pour eux, mais très gratifiant pour les fans, sous la forme de deux concerts. Deux concerts, dans la même salle, avec deux setlist totalement différentes (comme Killing Joke en 2008). Une annonce prometteuse d’entendre chaque soir 28 chansons extraites de chacun des albums réalisés. Soit 56 morceaux différents, pour ceux qui ont opté pour les deux concerts. Un must pour les vrais fans qui vont chercher dans leur armoire quel t-shirt ancien porter !
25 ans sont passés pour moi, depuis la première fois où je les ai vus, le 10 octobre 1985, au Rex Club à Paris, en pleine période post-punk, avec la major EMI... Les choses ont bien changé. Ils sont devenus un groupe culte, même si les fans ne sont pas assez nombreux pour remplir des stades comme U2, et leur d'une intégrité évidente touche encore le cœur, fait du bien, et exprime des émotions beaucoup plus intenses que les hits récents de Bono et de ses associés. Pour Paris, la fête pour cet anniversaire a lieu au Trabendo, une salle à taille humaine et bien remplie. Magnifique cadeau, pour un public très divers dont la fourchette d’âge s’étend de 18 à 60 ans avec une majorité d’hommes. De vrais fans, ensorcelés par le charme de NMA, qui veulent écouter en live les anciennes chansons (les meilleures ?), même si le groupe a une tendance à jouer les plus récentes. Ce soir, pour le premier des deux concerts, bonne nouvelle : pas de première partie, il n’y en a pas besoin avec les deux prévus : un acoustique et un électrique.
À l'intérieur de la salle, l'ambiance est conviviale et frissonnante (beaucoup d’anglais, d’allemands et de hollandais). Tout le monde semble se connaître et l'atmosphère de grande impatience est palpable. À voir le public, ça devrait être quelque chose de plus qu’un simple retour nostalgique au passé, comme on en voit beaucoup actuellement sur la scène musicale. En effet, aux côtés des anciens kids, des nostalgiques de la scène 80s, il y a aussi des garçons de dix-huit, vingt ans maximum. C’est un petit signe qui indique que le groupe est encore influent sur les jeunes, qui sont l'avenir, disent certains. Après une attente assez longue, rendue plus agréable par quelques bières, le concert commence.

21H09 : Le décor est simple. Une toile tendue au fond est ornée d’un dessin : le logo anniversaire du groupe. Enfin, la lumière s'éteint, pas de jeux de lumière ni de brouillard qui envahit peu à peu la scène... un cri unanime s'élève, car une ombre apparaît. On le reconnaît facilement, c’est Justin Sullivan, la tête et l’âme de
NMA, qui est accueilli avec une grande joie par tous les fans et en

particulier par Florence, Brigitte, et Gilles B. Il arrive seul au centre de la scène, avec son sourire, ses longs cheveux blonds, son blouson en cuir sans oublier sa guitare acoustique en bandoulière. «Bienvenue» lance-t-il de sa voix éraillée, timidement, au micro. Quel plaisir de voir un chanteur aussi simple ! Suit un accord de guitare sèche. On chante avec émotion «
This is our town, this is Friday night...»... ces mots de mélancolie nocturne de
Better Then Them, qui en un instant nous ramènent en 2006 (album No Rest For The Wicked), créent une bonne atmosphère et nous transportent à une époque, où à travers la musique, on criait au monde sa colère et l'inadaptation sociale. Un temps qui a bien disparu, mais vivant encore dans ces irréductibles rockers. On ferme les yeux et on apprécie. Une voix sûre et chaleureuse, une guitare acoustique et de belles chansons poignantes. Justin est alors rejoint par son complice Dean White (guitare électrique et piano) sur les chansons
Turn Away, Dawn et
Higher Wall. Le reste du groupe arrive aussi en douceur, le bassiste Peter 'Nelson' Nice, Michael Dean à la batterie (plutôt aux tambourins) et aussi Marshall Gill à la guitare. Le set défini «acoustique» gagne en puissance pour le plaisir du public. Un superbe
Drummy B de 1993 et surtout le mémorable
Courage de 1986, chanson qui cette année là, a été pour moi un éveil vers de nouveaux goûts musicaux, un coup de masse entre la tête et le cou, quelque chose de dévastateur et incroyablement séduisant. On se dirige vers la fin de cette partie avec la chanson
Bluebeat. Justin annonce, avec un sourire et un regard de tueur capable d'entrer en symbiose parfaite avec le public et au bon moment de l’hypnotiser, en français et avant de quitter la scène «
15 minutes» : le temps de la pause. Un premier set impeccable et magnifique ! Chaque fois, je suis surpris par la force de ces chansons et par cette poésie de la rue, absolument puissante et visionnaire. Justin Sullivan est un homme et un musicien qui est toujours resté fidèle à lui-même, qui n’a jamais suivi la mode et accepté de compromis. Sa voix dramatique et évocatrice et son accent provoquent des frissons, des émotions réelles, dans un voyage contre le temps. La prestation de NMA, même en semi-acoustique, est saisissante et les Anglais en particulier, jubilant de bonheur, applaudissent à tout rompre. La tâche qui consistait à chauffer le public, à leur faire vibrer les cordes vocales, a été bien menée, sans faux pas, avec neuf titres et... on attend la suite. Il y a juste le temps pour déguster une dernière bière et échanger deux mots.

22 h 5 : les amplis, qui étaient restés allumés, sont bien chauds et on rentre tout droit dans l'éclat et la fureur. Le mot d’ordre sera «intensité» pour cette suite orgiaque de sons épiques et poétiques, mélodiques et dévastateurs. Pas de mots, juste des regards et des sourires. À la droite de Justin, le guitariste Marshall, à sa gauche le bassiste Peter et le clavier de Dean, derrière, légèrement en retrait, le batteur Michael... en face une fosse comble de fans. Les instruments se déchainent et on part comme une fusée avec le set électrique. NMA prend de nouveau le contrôle de la scène en drainant son public fidèle depuis des années.
Over the Wire en ouverture puis le groupe ne manque pas de donner des émotions en cadeau avec
Vengeance, un de mes titres préférés, et son refrain fédérateur «
I believe in justice, I believe in vengeance, I believe in getting the bastard». Les morceaux s'enchaînent sans interruption :
White Light et l'hymne
Drag It Down. Pour ceux, comme moi, qui ont un vrai faible pour les morceaux d'ouverture, la crise cardiaque n’est pas loin. Il y a une ligne de continuité, une composante, folk indéniable, entre ces chansons du passé et les morceaux plus récents comme le dynamique
Wonderful Way To Go et
Today Is A Good Day, impitoyablement incisive et pleine d’ironie, chantée par Justin entre regards effrayants et sourires. Le son est d'excellente qualité. La foule chante tout le long, mot à mot. Chanter, crier, et crier avec Justin c’est aimer chaque instant. On revient aux anciens classiques avec
A Liberal Education,
No Sense et l’extraordinaire
51st State, un des premiers singles publiés par le groupe.


Justin Sullivan sort vraiment ses tripes. Il a un charisme énorme sur scène. C’est une véritable force de la nature, et un personnage illuminé par le passé très sombre qu’on a partagé à travers sa musique. Il est donc naturel qu’il ait une bande de fans très passionnés. Dans ce répertoire, beaucoup plus rock, Michael Dean, à la batterie est superbe tout au long du concert et prouve qu’il était né pour être dans NMA, avec sa capacité à battre les peaux de ses caisses, avec une aisance étonnante et des coups ravageurs. Il mène ensuite Marshall Gill dans un riff de guitare plus rude dans
Mambo Queen of the Sandstone City. L'ensemble du concert est vraiment excellent, percutant et jouissif. Les chansons nous prennent immédiatement, et il est impossible de rester immobile. Spontanément, toutes les têtes oscillent en scandant le rythme et certains se livrent même à une spectaculaire chorégraphie. Toute la fosse est quasi frénétique, jetant les bras en l'air. Certains montent sur les épaules les uns les autres pour exécuter une danse de bras, véritable hommage aux œuvres de NMA. C’est une grande poussée d'adrénaline et un moment magique dans une dimension émotionnelle. Le rythme de cette performance de NMA est si puissante, même sans excès, qu’on n’a pas le temps de s’apercevoir du temps qui passe pris par l’écoute de
High, traînante comme dans nos souvenirs, suivit du classique
White Coast. On arrive vers la fin du set avec une interprétation tranchante de
Green & Grey, chanson dédiée en partie au disparu Tommy Tee, leur manageur. Une des meilleures balades du rock, jamais écrites, un chef-d'œuvre de lyrisme et de musique, une chanson qui, une fois écoutée, n’est jamais oubliée. C'est un rock avec des racines de musique folk et d’approche du punk qui est parfaite pour marquer une fin. New Model Army, salue et quitte provisoirement la scène sous une explosion de cris dans toutes les langues et une pluie d’applaudissements unanimes.


La salle reste dans l'obscurité. Le rappel, après une attente très courte et prévue, s’ouvre avec
These Words, grand moment en version acoustique, suivi de
Brother. Ensuite retour à une ancienne
Poison Street de 1986, une autre de mes préférées, qui agite une nouvelle fois la fosse. En effet son refrain «
And just a drink, a toast to the days to come, Now Poison Street won't break us any more» est plus contagieux que la peste et la section rythmique est phénoménale. Le groupe quitte la scène une seconde fois (déjà ?) et une certaine frustration se manifeste immédiatement et déclenche une marée d’applaudissements et cris pour le faire revenir sur scène.

On croit à la fin du concert, car les lumières ont repris aussitôt le contrôle de la salle. Erreur. Nous ne pouvons pas rentrer à la maison pour l'instant, car malgré la fatigue et le concert supplémentaire qui les attend le lendemain, les NMA généreusement accordent un autre rappel. Justin demande «
Are you knackered yet» et enchanté de la réponse, regarde Marshall qui embrase immédiatement sa guitare sur un hallucinant
Wired, suivi d’un persistant roulement de tambours... La folie punk arrive avec sa puissance déchaînée de quatre minutes, qu’est
Betcha, reçue avec joie par la foule. Cette fois, c’est bien la fin. C’est avec cette chanson, la sueur qui dégouline, les guitares à fond et un son qui déchire, que se termine la soirée, intense et complètement satisfaisante d’un concert d'une force très grande, sombre et impétueux.
Ovation obligatoire, le cœur noué, et des phrases des Anglais (un bonjour au passage) à mes côtés «
Fantastic Concert... it was Great». Sensation, dès le retour des lumières, le retour brutal à la réalité, trop brutale. Dans les oreilles un son d’autrefois, d’une musique qu'on n'a pas entendue depuis longtemps. Pas de larmes de nostalgie, juste du Rock entre la rage et la douceur. La rage et la douceur, si on y pense bien, sont les mots clés pour comprendre un concert de NMA. Un concert excellent et du précieux «Rock», car face à ces chansons (sincèrement pas innovantes, mais honnêtes), ce mot magique composé de quatre lettres est le plus approprié. On pourra toutefois regretter l’absence de la chanson Vagabonds... elle sera jouée demain. Un concert de 136 minutes, un de leurs meilleurs, brut et torturé, d’une puissance inégalable, conduit par un Justin en forme éblouissante et un groupe qui n'a rien perdu de sa force. Enfin un live puissant, intense et très bien étudié, comme l'on attendait du groupe sur scène.
Dans nos deux heures et plus d'absence du globe terrestre, en dehors du Trabendo, il ne s'est pas passé grand-chose. Une petite pluie, qui lave les résidus de fumée, nous accompagne vers la voiture de Gilles B. Cela nous ramène au présent, avec le sentiment d’avoir vécu un grand concert à la hauteur de nos espérances. Peut-être que nous n'avons jamais été si heureux de voir le monde à travers les vitres de la voiture, et de ne rien entendre qu’un léger sifflement dans les oreilles... Il me reste à compter les heures avant de les revoir sur scène.
... Here in the land of opportunity
Watch us revel in our liberty
You can say what you like...»